« Analyser ! Imaginer ! Appliquer ! »
Déjà tout petit, lorsqu’il recevait ses premiers abuelitos, quatre par quatre, chez lui, dans la petite maison de ses parents, Albeiro avait un sens inné de l’organisation et une idée très précise de ce qu’il voulait apporter à ceux que la vie avait laissés seuls, abandonnés de tous. Presque « en jouant avec eux », Albeiro n’avait qu’un objectif : « Leur rendre la dignité et l’espoir en demain… le goût de vivre ». Et lorsqu’à partir de 1993, il eut ses deux structures à la dimension de ses saines ambitions, il imposa ses méthodes, ses vues, en véritable chef d’entreprise…Une entreprise d’Amour et de solidarité. vraie.
« Propreté et Dignité » : Dans les deux centres construits, que ce soit à « La Casa de los recuerdos » ou au « Rincon de Francia », l’hygiène et la propreté furent de première rigueur. La Dignité commence là ! Albeiro émit des règles très strictes que tous, de bonne volonté, suivirent. Les abuelitos les plus nécessiteux étaient lavés, soignés, rhabillés de neuf. Fiers d’être propres. Heureux de revivre !
Puis, la nourriture : Chaque midi était servi un repas chaud… Il n’y avait pas de viande tous les jours, loin de là, mais il y avait toujours quelque chose pour remplir les ventres. Et à six heures, pour chacun un repas du soir, léger, avant de remonter dans son pauvre « chez soi ». Cependant que, deux fois par jour, les petits anges-gardiens « montaient » dans les quartiers, apporter les repas aux malades et paralytiques. De son côté, Albeiro faisait également la tournée des quartiers, visitant ses malades, rassurant ceux-ci, encourageant ceux-là d’une caresse, d’un sourire ou d’un bon mot, mais notant dans une mémoire infaillible, l’urgence d’un besoin pour le lendemain.
Au « Rincon de Francia », en vase clos, les normes étaient strictes : Le repas, à la nuit tombante, une courte veillée, et chacun regagnait son dortoir…Et l’on veillait à ce que personne « ne se trompe de dortoir », même les somnambules…
En vrai directeur de collectivité, Albeiro Vargas mettait en pratique ses généreuses méthodes, avec force et… grand sourire. Souvent des petits conflits, inévitables, se terminaient en énorme fou rire.
« Activité permanente » : Plus particulièrement à la Casa de los recuerdos, Albeiro mettait un point d’honneur à ce que les abuelitos aient une activité permanente et variée. Tour à tour animateur, prof de gym, maître de danse, instituteur ou professeur de couture, Albeiro mettait en place, tout naturellement, des activités que les professionnels baptiseront « Thérapie occupationnelle ».
Ainsi, à l’aide de vieux journaux, Albeiro apprenait l’alphabet à son groupe, montrant au tableau noir les contours d’une lettre, et demandant à ses petits vieux de repérer cette lettre, dans les titres du journal. Lorsque ce fut fait, les abuelitos commençèrent à écrire ces lettres, les recopiant à foison comme de bons « anciens écoliers ». Le but de tout cela : « Un jour… savoir signer de son nom », car « savoir signer son nom, c’est avoir la Dignité ! » Ainsi, on faisait de la Gymnastique, pour dérouiller les membres endoloris d’arthrose… On le faisait sérieusement, en râlant un peu parfois, mais en riant aussi, beaucoup. Ainsi on faisait de la couture, décorant des tabliers, des coussins… qui seraient autant de prix attribués lors des lotos qu’Albeiro organisait régulièrement. On chantait, faux mais fort ! On dansait, souvent et de tout, de la cumbia à la house music !
Albeiro était partout, vociférant joyeusement, malgré les mille problèmes qui l’envahissaient. Mais « Querer es poder ! » Vouloir, c’est pouvoir ! et, voulant rendre ses abuelitos heureux, Albeiro pouvait tout, réussissait tout : Oubliant douleurs de l’âme et du corps, les Abuelitos s’en allaient, repus et contents. Parfois… ils ne revenaient pas, et appelé en urgence, le jeune garçon accompagnait leur dernier souffle.
« Quête permanente » : Albeiro a toujours considéré l’aide de la France comme « un miracle » qui ne durerait pas (Ce fut peut-être là sa seule erreur !), et donc, il a multiplié les contacts, les relances, les quêtes multiples pour que, chacun à sa façon, on aide ses petits vieux.
Ainsi, une conférence dans un collège ou une classe d’université, lui valait de recevoir des jeunes qui chantaient et dansaient pour ses petits vieux. Une négociation « sans argent » lui permettait d’avoir la visite d’un médecin, une fois par semaine, ou des étudiantes infirmières, en stages longs. La visite au directeur d’un cirque lui rapportait trente invitations. De même au cinéma ! Un bus était soudain à sa disposition pour amener son petit monde dans un des parcs d’attraction privés, mis en place par les comités des grandes entreprises de Colombie.
En 1992, dans un hangar désaffecté » qu’il avait fait décorer et aménager à moindre coût, Albeiro Vargas organisa le premier concours « Miss Monde des Abuelitas ». Il y eut, dans une totale dignité, et devant grande foule, défilé de quinze petites vieilles, successivement vêtues de tenue de sport, de robe traditionnelle, et de robe du soir (en atelier « pratique », par des élèves d’un lycée voisin, conquis !). La reine désignée par le jury et le public, ravi, avait… quatre vingt quatre ans. On applaudit beaucoup ! On dansa et… avec l’argent récolté aux entrées, Albeiro acheta soixante « jogging », afin que les Abuelitos pussent faire leur gymnastique dans le respect des autres, et leur propre respect… L’année suivante, c’est la grande salle de Théâtre de la Bibliothèque Municipale de Bucaramanga, qui fut mise à disposition d’Albeiro, pour son concours annuel « Miss Abuelita ». Il avait… quatorze ans.
Et puis, des épreuves plus dures, moralement et parfois physiquement « éreintantes » : tout d’abord, les sempiternelles démarches auprès des autorités, de la Mairie, du Gouverneur, des services sociaux… On lui promettait toujours, surtout lorsque qu’une caméra ou « los amigos Franceses » étaient présents à l’entretien… Mais toujours il manquait un document, un tampon, la signature de celui qui, justement, n’était pas là, ce jour-là. C’est ainsi qu’en 1992, Albeiro vit disparaître une importante subvention de la Présidence de la République, qui lui fut donnée « devant la caméra », mais confiée, pour gestion, à quelque service de la Mairie, parce qu’Albeiro était « un enfant », et que son association n’était pas complètement structurée. Albeiro ne revit jamais cette somme, et même un sitting de protestation, avec ses abuelitos dans le hall de la Mairie, en 1995… n’y fit rien.
Malgré ces crève-cœur, le jeune Colombien multipliait ses efforts, pour ses abuelitos : Tous les samedis, aux aurores, il filait au marché de gros, et récupérait ce que les commerçants ne vendaient pas. Comme il y avait très peu à récupérer, c’était « la guerre des pauvres ». On apprenait que les religieuses venaient à cinq heures du matin, et donc Albeiro apparaissait à quatre heures, éternel sourire aux lèvres…
Peu à peu, certains des commerçants, reconnaissant son action, lui réservèrent « le meilleur de l’avarié »… D’autres, mais plus rares, lui donnaient « du frais ». Il les remerciait tous, également. C’était « sa Diginité à lui ! » Cet exercice, physiquement éprouvant, lui permit de construire, là-aussi, « son petit monde »… et par la suite, ce sont les abuelitos, par petites équipes, qui s’allèrent faire « le marché du Samedi matin »…
Toute cette histoire, ces anecdotes ici rapportées, nous les avons vécues, les divers membres de notre action qui, au fil des ans, avons eu la chance de nous déplacer en Colombie, et d’y vivre à ses côtés, l’incroyable quotidien d’un être « extra-ordinaire » qui, loin d’être un ange… est un authentique « Nobel de la Paix » du XXIème siècle.